Affaire Brenda Quevedo Cruz (26 mai 2014)
Brenda Quevedo Cruz a été torturée à deux reprises dans des prisons mexicaines, pour la contraindre à s’auto-incriminer pour un crime qu’elle n’avait pas commis Photo: Los Angeles Press
Source : El Toque, Los Ángeles Press vía MXporFCassez (version originale en espagnol)
Traduction : Sonia Béroud pour ADCV
Le 26 mai 2014
Ma fille a été torturée au Mexique : Enriqueta Cruz
Brenda Quevedo Cruz est l’une des suspectes présumées dans l’affaire d’enlèvement et de disparition d’Hugo Alberto Wallace, le fils d’Isabel Miranda de Wallace, activiste et présidente de l’association Alto al Secuestro (Halte aux enlèvements). Brenda a passé 8 années en prison alors qu’aucune sentence judiciaire n’ait été prononcée, et elle est actuellement incarcérée dans une prison à sécurité maximale située dans l’Etat de Nayarit.
A deux reprises, elle a été torturée afin de la contraindre à signer un aveu de culpabilité – ce qu’elle a toutefois refusé de faire.
La première fois, Brenda a été torturée dans le Centre préventif de Réadaptation Sociale (Centro Preventivo de Readaptación Social) de Santiaguito de Almoloya dans l’état de Mexico, la nuit du 27 novembre 2009, à 19h. Elle a été amenée par une gardienne dans une salle d’audience. « Elle dit qu’une fois arrivée, lorsque la porte de la salle d’audience s’est ouverte, elle a vu trois hommes tournés face à la fenêtre. Ils ont reçu un ordre, mis des masque de ski et se sont dirigés vers elle. » raconte Enriqueta Cruz Gómez, la mère de Brenda Quevedo Cruz. « Bien que ma fille ait demandé à la gardienne qui l’avait escortée à la salle d’audience de ne pas la laisser seule, cette dernière a ignoré sa demande. » ajoute-t-elle. « Une fois à l’intérieur de la pièce », poursuit la mère, « les hommes ont demandé à ma fille si elle savait qui leur avait ordonné de venir. Brenda a répondu qu’ils étaient venus sur les ordres de Mme Isabel Miranda de Wallace ».
Les hommes ont alors immédiatement commencé à l’insulter et la frapper au niveau de l’estomac ; puis ils ont placé un sac sur sa tête et commencé à l’étouffer. Ils lui ont dit de ne pas essayer de crier, parce que tout le monde était au courant, des gardiens jusqu’aux surveillants, et que par conséquent personne ne l’écouterait. « Ils lui tiraient les cheveux, la plaçaient à côté d’un magnétophone et lui disaient qu’ils étaient déjà fatigués de ses bêtises, et que s’ils enlevaient leurs mains de sa bouche et qu’elle disait quoi que ce soit, les choses allaient empirer pour elle. Elle a commencé à pleurer, et ils se sont mis à la battre à nouveau, couvrant sa bouche et lui criant de ne pas essayer de faire sa courageuse, parce que les choses allaient empirer pour elle et qu’ils allaient rester toute la nuit avec elle », raconte Enriqueta Cruz.
« Les hommes l’ont également menacée de la faire sortir de prison, puis ils ont commencé à toucher son sexe et sa poitrine avec brutalité. Ils lui ont ensuite montré une seringue contenant un liquide rouge et lui ont dit qu’il s’agissait de sang infecté par le VIH. Ils lui ont dit que si elle n’admettait pas être responsable de l’enlèvement comme les autres personnes impliquées, ils lui injecteraient le sang infecté par le VIH tous les mois, jusqu’à ce qu’elle signe son aveu de culpabilité. » dit la mère de Brenda Quevedo Cruz. « Cette séance de torture a duré une heure et demie, jusqu’à ce que les gardiens de prison frappent à la porte. », ajoute-t-elle.
La seconde séance de torture de Brenda Quevedo Cruz s’est déroulée le 13 octobre 2010, à 12h, dans la prison fédérale des îles Marie (Islas Marías). Cinq à six hommes se sont rendus dans la maison en construction où elle était retenue prisonnière et privée de tout contact avec l’extérieur. « La séance de torture à laquelle elle a été soumise est allée très loin », dit Enriqueta Cruz Gómez. « On l’a non seulement battue, étouffée avec des sachets et tenté de la noyer en mettant de l’eau dans son nez, mais on l’a aussi violée. Brenda a bien insisté sur le fait qu’elle avait senti qu’on lui plaçait quelquechose dans le vagin pendant qu’elle était menottée. » ajoute-t-elle. « Les hommes lui disaient que si elle ne signait pas son aveu de culpabilité, ils s’en prendraient à sa famille, à sa mère et à son frère, et qu’ils savaient où les trouver. Au bout d’un moment, les hommes sont partis, mais avant de le faire, l’un d’eux a demandé à Brenda de répéter la raison pour laquelle elle se trouvait là. « Je suis là à cause de l’enlèvement d’Hugo Alberto Wallace », a-t-elle répondu. « Non, pour toi c’est Monsieur Hugo Alberto Wallace », a dit l’homme avec brutalité, tout en lui donnant une grande gifle. » raconte la mère.
« Alors que les hommes étaient en train de partir, l’un d’entre eux est revenu pour lui donner une autre gifle », dit Enriqueta Cruz. « Brenda a senti qu’il lui avait percé le tympan, et elle est restée sourde pendant un long moment. » ajoute-t-elle. Elle insiste sur le fait que la torture est vraiment allée très loin.
« Pour chaque chose qu’ils lui ont faite : la noyade, les chocs électriques, le sachet sur la tête, les menaces et le viol. Pour chacune de ces choses, ma fille a évidemment été très affectée ; cela faisait déjà deux fois qu’elle était torturée », explique la mère de Brenda.
Brenda a été transférée à la prison fédérale d’Islas Marías alors qu’elle n’avait pas encore été jugée. Enriqueta Cruz et sa famille considèrent que Brenda a tout bonnement été enlevée, et la mère affirme qu’elle a mis plus de 40 heures à apprendre où sa fille avait été emmenée.
Un officier de liaison a reconnu être à l’origine de son transfert, et a admis qu’elle avait été emmenée à l’aéroport. La mère de Brenda dit que ni le juge, ni l’avocat, ni les membres de sa famille ne savaient où ils l’avaient emmenée. « Quand j’ai porté plainte, la première chose que le juge a demandée a été un rapport sur les raisons pour lesquelles ils avaient emmené Brenda [qui était à Santiaguito] sans en avoir informé qui que ce soit au préalable. » raconte Enriqueta. « Après avoir suivi plusieurs procédures, ceux qui étaient à l’origine du transfert de ma fille ont invoqué des questions de sécurité, le profil de Brenda, et les charges qui pesaient contre elle comme motifs pour leurs agissements. », ajoute-t-elle.
Un an auparavant, Enriqueta Cruz Gómez avait dénoncé au responsable de la protection des citoyens de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), Dr. Raúl Plascencia Villanueva, l’actuel Procureur de la République, Jésus Murillo Karam, pour omission dans l’affaire de torture de sa fille.
Elle dit que quand Brenda avait déjà été rapatriée dans la prison de sécurité maximale dans la ville de Tepic, dans l’état de Nayarit, après ce qu’il s’était passé à Islas Marías, elle a commencé à être punie sans raison, ce qui a conduit Madame Cruz Gómez à arrêter d’envoyer des requêtes et des plaintes à la CNDH. Brenda a été transférée dans une cellule d’isolement appelée « El Apando », une toute petite pièce de 2 mètres sur 3 contenant seulement une ampoule, une caméra, des toilettes et une douche.
« Ils la regardaient toute la journée comme un animal et ne la laissaient sortir sous aucun prétexte – ils lui apportaient même ses repas », raconte la mère de Brenda Quevedo Cruz. « Brenda y est restée enfermée pendant 2 mois », ajoute-t-elle.
Au cours d’une conversation entre Brenda et la psychologue en charge de son évaluation à Islas Marías, les deux femmes ont découvert que la CNDH avait menti dans un document daté du mois de septembre 2011, dans lequel il affirmait que les résultats de l’enquête à Islas Marías indiquaient que rien n’était arrivé. Lorsque Brenda a mentionné ce point, la psychologue a dit que c’était impossible, puisqu’elle avait réalisé l’évaluation selon les critères du protocole d’Istanbul en juillet 2011, et que les résultats avaient été positifs.
« La CNDH a caché cette information et cautionné le fait que Brenda soit placée dans la cellule d’isolement “El Apando” » dit Enriqueta Cruz. « Brenda est tombée en dépression nerveuse lorsqu’elle y était enfermée, parce qu’elle pensait qu’elle allait être torturée à nouveau ; et c’est pour cette raison que notre famille a engagé des poursuites judiciaires contre le Dr. Plascencia Villanueva. », ajoute-t-elle.
Enriqueta Cruz ne peut pas dire avec certitude pourquoi la CNDH a agi de cette façon, mais elle suppose que c’est parce qu’Isabel Miranda de Wallace avait usé de son influence pour faire nommer comme médiateur le Dr. Plascencia Villanueva, comme elle l’a appris par la presse. « Nous pensons que leurs agissements en 2010 et 2011 étaient aussi dus au fait que le Dr. Plascencia Villanueva était sur le point de donner le prix des droits de l’Homme à Mme Wallace », dit Enriqueta Cruz.
Bien que les résultats du protocole d’Istanbul aient été positifs dans le cas de Brenda, Enriqueta Cruz affirme que l’Etat mexicain n’a offert aucune compensation financière pour les dommages causés à sa fille. Ce n’est qu’au début du mois de février de l’an passé que Brenda a pu consulter un psychiatre, parce qu’elle se sentait affreusement mal, souffrant d’insomnie et de tachycardie, pour lesquelles elles suivait un traitement médicamenteux. Après que le procès contre la CNDH leur ait été intenté, certains membres de l’organisme ont alors rendu visite à Brenda à trois reprises.
Quant à l’état physique, psychologique et émotionnel actuel de Brenda Quevedo Cruz, Enriqueta dit qu’elle se rétablit très doucement. « Brenda vient tout juste de commencer une thérapie avec un psychologue, mais elle se sent très seule, et elle cherche soutien et réconfort dans la Bible. » ajoute Enriqueta. « En plus, son traitement médicamenteux a été interrompu, et cela l’a beaucoup affectée, parce qu’elle en prenait des doses élevées. En réalité, Brenda n’a pas reçu des soins médicaux adaptés », dit la mère.
La torture est devenue une pratique routinière des autorités mexicaines depuis que l’ancien président Felipe Calderón a entrepris son combat contre le crime organisé en 2006. Depuis cette période, différents présumés coupables ont subi mauvais traitements, maltraitance et harcèlement de la part de la police et des forces armées, dans le but d’obtenir des informations sur le crime organisé, ou de les forcer à avouer ce dont ils étaient présumés coupables. Selon l’organisation indépendante Human Rights Watch, ces actes de torture se produisent généralement lorsque les victimes sont en « détention arbitraire », et jusqu’à ce qu’ils soient présentés devant le bureau du Procureur Général. Pendant ce laps de temps, les victimes sont retenues prisonnières, sans aucun contact avec l’extérieur.
Selon le rapport d’Amnistie International publié en 2011 et intitulé « Culpables conocidos, victimas ignoradas: Tortura y maltrato en México » (Coupables connus, victimes ignorées : torture et maltraitance au Mexique), la Commision Nationale des Droits de l’Homme mexicaine (Comisión Nacional de los Derechos Humanos) et la CNDH ont reçu 1 669 allégations de torture et maltraitance au cours de cette année, pour un total de 4 841 depuis 2007. Toutefois, ce rapport insiste sur le fait que bien que l’information fournie par la CNDH soit « la plus complète qui soit disponible », elle est encore très loin de représenter le nombre réel de tortures ayant lieu à travers le pays. Selon ce rapport, cet écart s’expliquerait par le fait que la CNDH intervient uniquement lorsque des officiers fédéraux sont impliqués dans des cas de maltraitance, de telle sorte que ses données « n’incluent pas nécessairement les allégations de torture et de maltraitance perpétrées par les officiers d’état ou les officiers municipaux (à moins que des officiers fédéraux soient également présumés impliqués) ».
Selon le rapport de l’organisation indépendante Human Rights Watch publié en novembre 2011 et intitulé « Ni droits, ni sécurité » (Ni Seguridad, ni derechos), certaines pratiques de torture utilisées par les membres de toutes les forces de sécurité incluent fréquemment passage à tabac, administration de chocs électriques, étouffement à l’aide de sachets en plastique, noyade, tortures sexuelles et menaces de mort. Durant la première année au pouvoir du gouvernement de l’actuel président mexicain Enrique Peña Nieto, le CNDH a affirmé (via son médiateur le Dr. Raul Plascencia Villanueva) avoir reçu 1 506 plaintes pour torture et traitement cruel. Un chiffre qui représente 30% de moins qu’en 2012, la dernière année de gouvernance du président Felipe Calderón, durant laquelle ces plaintes s’élevaient à 2 113.
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